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Des constructions spectaculaires, montées dans les arbres avec des branches et brindilles, se multiplient à Marseille et attirent de plus en plus de regards. Les habitants de la ville y sont déjà habitués, mais ces structures encombrantes ne passent pas inaperçus et interpellent les touristes.
À qui appartiennent ces nids géants noirs ?
Bd Guigou, Plombières. Qui sait ce que c'est ? Des nids ? Des perruches gazouillent autour.#Marseille pic.twitter.com/2KlQnrkSPW
— David Coquille (@DavidLaMars) March 3, 2024
Il s’agit de la Conure veuve (Myiopsitta monachus), une des espèces d’oiseaux tropicaux de l’ordre Psittaciformes présentes actuellement dans la ville. Elle est connue également sous multiples noms tels que Perruche moine, Perruche-souris ou encore Perruche Quaker (appellation répandue aux États-Unis et au Canada).
Vous pouvez la reconnaître grâce au contraste entre le vert de son dos et le gris de sa poitrine et son front. Une partie de son aile est bleu. Ces oiseaux sont plus petits que les autres perruches installées depuis quelque temps dans les grandes villes.
La conure veuve a pour particularité de fabriquer des nids communautaires dotés de plusieurs entrées. Ainsi ces installations comportent plusieurs logettes indépendantes qui permettent à plusieurs couples de nicher dans le même nid. Ces logements collectifs s’agrandissent par ajouts successifs de nouveaux compartiments et peuvent mesurer de plusieurs mètres de long et peser jusqu’à 200 kg !
Originaires de l’Amériques du Sud, ces oiseaux non migratoires ont apparu à Marseille à la fin des années 1990. Comme pour d’autres espèces de psittaciformes (les perruches et autres oiseaux apparentés), cette installation en dehors de l’aire habituelle de répartition s’explique par l’explosion du marché des oiseaux exotiques. Le même schéma s’est répété dans des grandes villes du monde entier :quelques oiseaux échappés de captivité ou délibérément relâchés par leurs propriétaires ont fondé des colonies dont les effectifs ne cessent d’augmenter, parfois d’une façon exponentielle.
Si en 2020 on recensait à Marseille autour de 1500 perruches, quatre ans après leur population a plus que doublé, estimée actuellement à 3500.
Apparues d’abord au parc Borély, les conures veuves colonisent petit à petit tous les espaces verts de la ville de Marseille. Leurs nids gigantesques échafaudés dans les platanes et autres grands arbres sont désormais un objet d’attraction sur la place Burel, sur le boulevard de Plombières, dans le quartier de la Belle-de-Mai, sur le boulevard Guigou.
Les observateurs et les scientifiques soulignent tous la surprenante capacité d’adaptation de ces oiseaux.
Voici comment Anaël Marchas, ornithologue et médiateur juridique à la LPO de la région PACA (Ligue pour la protection des oiseaux), explique cette facilité à s’adapter à la ville : « Soit elles profitent de vivre en collectif pour se multiplier, soit elles mettent à profit les avantages propres aux milieux qu’elles colonisent, par exemple les cavités des platanes, très présents le long des grands axes urbains ».
Juan Carlos Senar, chercheur biologiste au musée des Sciences naturelles de Barcelone, a étudié ces dernières années l’évolution des espèces invasives d’oiseaux et leur adaptation à la vie locale. Il a observé des changements significatifs dans le comportement des conures veuves, suite à leur intégration dans le milieu urbain et la délocalisation géographique. Par exemple, ces oiseaux originaires de l’hémisphère Sud ont été capables de modifier leur période de reproduction en accord avec les saisons de l’hémisphère Nord.
Marseille est loin d’être la seule ville colonisée par les conures vertes en dehors de leur aire d’habitation naturelle. En France c’est la commune la plus concernée, bien qu’on retrouve ces oiseaux également dans d’autres villes comme Toulon, Montpellier ou Bordeaux.
En Europe, certaines grandes agglomérations sont confrontées à ce phénomène depuis quelques années déjà. C’est en Espagne que la propagation des conures veuves a pris les plus grandes proportions. À Barcelone et Madrid on recensait, en 2015, plus de 200 nids et entre 6000 et 7000 individus.
En Belgique, les conures se reproduisent dans la Région de Bruxelles-Capitale, en 2016 on situait leur effectif dans une fourchette de 200-500 individus, un chiffre qui n’a pas beaucoup évalué depuis.
Si à Bruxelles l’espèce « n’est pas en croissance notable », comme le constate le rapport de l’année 2022, c’est peut-être parce que la conure veuve est assez sensible aux facteurs climatiques. Ce n’est par hasard qu’on la retrouve principalement dans le Sud de la France ou sur les côtes méditerranéennes en Espagne. Contrairement à la perruche à collier, assez tolérante aux températures basses d’hiver, la conure veuve n’apprécie pas beaucoup le froid, même si les grands nids collectifs permettent à cet oiseau de mieux le supporter.
Mignonnes et intelligentes, les conures veuves sont plutôt bien accueillies par les habitants qui se prennent d’affection pour ces petites créatures.
Or la propension de ces colonies à devenir envahissantes suscite beaucoup de questions. Les politiques menées par les différents pays à l’égard des populations urbaines de l’espèceMyiopsitta monachus varient considérablement.
Les autorités britanniques et espagnoles ont choisi de mettre en place desmesures radicales pour empêcher la prolifération de l’espèce.
Au Royaume-Uni, le gouvernement a pris la décision d’intervenir assez tôt et de procéder à l’éradication avant que la population ne devienne incontrôlable. Les plus grandes inquiétudes concernent justement les nids collectifs des perruches moines qui peuvent provoquer des pannes d’électricité lorsqu’ils sont construits sur des pylônes, puis inondés par la pluie.
Ces nids posent problème quand ils sont construits sur des installations électriques, posant causer des dommages et des black-out comme c'est le cas aux USA... pic.twitter.com/QV45ZQEW9b
— En Direct du Labo (@EnDirectDuLabo) September 5, 2018
En considérant que les conures veuves constituent « une menace pour les infrastructures nationales », ainsi que « pour les cultures et la faune britannique indigène », le ministère de l'Environnement, de l'Alimentation et des Affaires rurales a débloqué 260 000 £ pour éliminer ces oiseaux « de la manière la plus humaine et appropriée ».
À Madrid aussi, la municipalité a lancé fin 2020 un plan d’élimination de la majorité des 11 000 conures veuves présentes dans la ville. On estime à la capitale espagnole que ces oiseaux venus de l’autre hémisphère menacent l’écosystème existant, en prenant le dessus sur les espèces locales dans la compétition pour l’habitat et l’alimentation.
Les fameux nids géants ne sont pas appréciés non plus car avec leur poids allant parfois jusqu’à 200 kg ils constitueraient, selon les autorités, un réel danger pour les passants.
À Marseille, le petit oiseau vert n’est pas encore menacé.
"On peut voir des cohabitations entre perruches et autres espèces", a déclaré Anael Marchas à BFMTV. - On a pas de retour qui indiquerait que cette espèce a un impact conséquent sur la biodiversité à l'inverse d'autres espèces (...) On a jamais eu de plaintes de riverains même quand il y avait de grosses concentrations d'oiseaux", assure-t-il.
Les avis des scientifiques sur la nécessite de lutter contre l’implantation dans les grandes villes des espèces dites « envahissantes » sont partagés.
Certains, comme Juan Carlos Senar, s’inquiètent pour l’impact que les conures veuves et autres oiseaux de ce type peuvent avoir sur les écosystèmes si leur population n’est pas gérée : « Elles sont très intelligentes. Si nous attendons trop longtemps, il sera presque impossible de les contrôler. »
D’autres signalent qu’il existe un « préjugé généralisé contre les espèces exotiques » et que les affirmations que ces espèces constituent une menace pour la biodiversité ne sont pas suffisamment étayées par des données (c’est notamment le point de vue exposé dans l’article « Ne jugez pas les espèces sur leur origine », signé par Mark Davis et 18 autres écologistes et publié en 2011 dans Nature).
Selon François Chiron, Maître de Conférences au Laboratoire Écologie, systématique et évolution à l’Université Paris-Saclay, l’arrivée des perruches en ville est un indicateur de la dégradation de la qualité des écosystèmes avant d’en être la cause. Il avertit contre le danger de se tromper d’objectif en faisant des espèces introduites « les coupables idéales du mauvais état de conservation des écosystèmes urbains ou plus naturels ».
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