Les « chatouns », ces ours bruns insomniaques qui rodent dans les forêts russes en hiver

Vous l’avez peut-être déjà lu quelque part, en cette fin de l’automne 2023, les ours bruns de l’Extrême-Orient russe avaient du mal à trouver leur sommeil. Pour expliquer le phénomène, il ne faut pas chercher midi à 14 heures : les températures trop chaudes du mois de novembre ont déréglé l’horloge biologique des animaux.

« Le mois de novembre trop chaud empêche les ours de dormir dans la région de l'Amour. Dans certaines régions, des ours à moitié endormis se promènent encore à proximité de leurs tanières », a déclaré fin novembre le Département de la protection de la faune de la région de l'Amour sur sa chaîne officielle dans la messagerie Telegram.

Sergueï Aramilev, directeur général du Centre du tigre de l'Amour, a annoncé de son côté que la période d’entrée en hivernation des ours à Primorye allait être plus long que d’habitude et pouvait durer un mois entier : de la mi-novembre à la mi-décembre.

Ces ours sont-ils dangereux pour les hommes ? Les situations où un ours n’a pas pu suffisamment grossir pour entamer son sommeil hivernal et se promène affamé sont bien connues en Russie et constituent une réelle menace pour l'homme. Est-ce le cas pour les ours de ces régions de l’Extrême-Orient russe ?

Si les habitants des régions froides ont l’habitude d’avoir affaire aux ours qui n’ont pas eu le temps d’accumuler leur masse graisseuse et restent en dehors de leurs tanières en hiver (on les appelle « chatouns » en russe), les ours de la rive gauche du fleuve Amour (qui marque la frontière entre l'extrême-orient russe et la Chine) semblent être dans une situation un peu différente.

En effet, « ils n'ont plus besoin de manger de la graisse pour l'hiver (pour la plupart des ours normaux, tout est prêt depuis longtemps pour l'hibernation), mais ce qui les empêche de se coucher enfin, c'est la température de l'air « indécemment » élevée à leur goût », explique le petit communiqué des autorités locales.

« Chatoun », le terme spécial russe pour un ours qui n’est pas entré dans son sommeil d’hiver

Un ours brun qui ne s’est pas endormi pour l’hiver, est-ce un phénomène rare ? Pas tant que ça. En Russie, il existe même un terme spécial «chatoun», réservé aux ours qui n’ont pas pu hiverner pour des raisons exceptionnelles.

Souvent, ce terme reste général et désigne n’importe quel ours qui se promène en hiver en-dehors de sa tanière. Dans beaucoup de cas, ils ne présentent aucun danger pour l'homme.

En effet, il existe des régions où les ours hibernent pendant une courte période ou ne font pas de tanière du tout, comme le Caucase, les Carpates et d'autres parties de l'aire de répartition de l'espèce au climat doux. Dans de tels endroits, des ours normaux et en bonne santé peuvent se promener en plein hiver mais ne s’approchent jamais de l’homme.

Certains ours sont dérangés par les humains pendant leur sommeil hivernal. Ces ours, ayant quitté la tanière à cause d'une faute humaine, trouvent généralement rapidement un nouvel endroit pour la tanière, s'y couchent et s'endorment en toute sécurité jusqu'au printemps.

Mais le « véritable » chatoun est celui qui, pour une raison quelconque, n’a pas pu accumuler la quantité de graisse requise et n’a pas pu se mettre dans la phase d’hivernation.Ces chatouns, affamés et fragilisés, continuent d'errer dans la forêt hivernale à la recherche de nourriture. Ils perdent complètement leur peur de l'homme, le percevant comme un objet de chasse. Ces ours sont extrêmement dangereux.

Il semblerait que cette année, dans la région de l’Amour, il ne s’agit pas de « chatouns » au propre sens du terme, puisque les individus observés sont en bonne santé et ont déjà réservé de la graisse nécessaire pour passer l’hiver.

« Les ours qui errent "à moitié endormis" ont peut-être déjà déclenché la transition physiologique vers un état d'hibernation et vaquent ainsi à leurs occupations avec un métabolisme supprimé », c’est ainsi que Oivind Toien, zoophysiologiste et professeur adjoint de recherche à l'Institut de biologie arctique de l'Université d'Alaska Fairbanks, a commenté la situation.

Les femelles et les petits respectent le calendrier malgré la météo inquiétante

D’après les services de la protection de la faune, les femelles et leurs oursons semblent moins impactés par les températures anormales : les mamans ont emmené leur progéniture dans les tanières « strictement dans les délais prévus - fin octobre. Et aucune anomalie météo ne les inquiète ».

« Les oursons sont plus sensibles aux températures glaciales que les adultes en raison de leur petite taille, car leur corps stocke moins d'énergie et perd de la chaleur plus rapidement. »,a expliqué Oivind Toien à la rédaction du magazine Live Science qui s’est penché sur le sujet. Aussi, leur métabolisme est plus élevé, et « c’est probablement pour ça qu’ils font très attention à ne pas dépenser plus d'énergie en activité pendant cette période de transition vers l'hibernation."

Le lien entre le réchauffement climatique et le sommeil des ours

La longueur de la période d'hibernation des ours dépend des conditions climatiques, pouvant aller de 1 à 7 mois en fonction de la rigueur de l'hiver.
Ces caractéristiques géographiques sont en train de subir des changements profonds dus au réchauffement global de la planète.

Des recherches récentes constatent un lien entre l’augmentation des températures moyennes et le changement du comportement des ours durant l’hiver. Selon différentes estimations, chaque augmentation de température de 1 °C réduit de 3 à 6 jours leur période d’hivernation.

Ainsi, les ours d'Alaska pourraient également perdre le sommeil en raison des températures chaudes, a déclaré Oivind Toien à Live Science. "Les ours qui se promènent en hiver sont bien connus, par exemple dans les zones côtières de l'Alaska", a-t-il déclaré. "La taille des ours, le climat doux de ces zones côtières et la disponibilité continue de certaines sources de nourriture pourraient jouer un rôle ici."