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Dans les montagnes escarpées des Apennins centraux, niché entre les forêts épaisses de la région des Abruzzes, le village médiéval de Pettorano sul Gizio semblait promis à un lent déclin. En 1920, la ville comptait environ 5 000 habitants. Ils ne sont plus que 390 aujourd’hui.. Pourtant, ce village est en train de renaître. Et cela, contre toute attente, grâce à un animal autrefois craint et chassé : l’ours brun marsicain.
L’ours brun marsicain est une sous-espèce endémique de l’Italie centrale, classée en danger critique d’extinction. On estime aujourd’hui sa population à environ 60 individus. Longtemps persécutés, ces ours ont trouvé refuge dans les zones les plus reculées du parc national des Abruzzes, du Latium et du Molise. Là, ils jouent un rôle écologique crucial, en régulant les écosystèmes et en disséminant les graines sur de vastes distances.
Si les ours ont pu réinvestir la région, c’est en partie à cause de l’exode rural massif qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. La déprise humaine a permis à la nature de reprendre ses droits. Les collines autrefois dénudées par le pâturage intensif sont aujourd’hui couvertes de forêts, offrant un habitat propice aux grands mammifères.
Ours brun marsicain, Photo : ©Valentino Mastrella (www.parcoabruzzo.it)
Mais vivre avec des ours n’a rien d’évident. À Pettorano sul Gizio, la cohabitation a connu des débuts houleux. Il y a une dizaine d’années, une ourse nommée Peppina terrorisait les habitants, pillant ruches, vergers et poulaillers. En 2014, la tension atteint son comble lorsqu’un jeune mâle est abattu par un habitant après avoir pénétré sur sa propriété. Cet événement marque un tournant : il devient urgent de repenser la relation entre humains et animaux sauvages.
En 2015, Pettorano sul Gizio est devenu le premier village italien labellisé “comunità a misura d’orso” (communauté adaptée aux ours), une reconnaissance soutenue par l’ONG Salviamo l’Orso et Rewilding Apennines. Cette initiative vise à favoriser la cohabitation entre humains et grands prédateurs, en limitant les conflits tout en valorisant les atouts du territoire.
Concrètement, cela passe par :
- L’installation de clôtures électriques autour des poulaillers et potagers ;
- La distribution de conteneurs anti-ours pour les déchets ;
- Le nettoyage et la réhabilitation de vergers abandonnés ;
- Des campagnes de sensibilisation locales ;
- Le suivi GPS de certains ours, pour mieux comprendre leurs déplacements.
Mario Cipollone, de Rewilding Apennines, avec un conteneur anti-ours à Pettorano sul Gizio. Photo : ©Angela Tavone/Rewilding Apennines.
Les résultats ne se font pas attendre. En quelques années, les incidents liés aux ours diminuent drastiquement.En 2017, les attaques ont chuté de 99 % par rapport à 2014, et depuis 2020, aucun dégât n’a été signalé. L’ourse Barbara, successeuse plus discrète de Peppina, déambule encore dans le village, mais sans créer de troubles.
Cette réussite écologique a inspiré d'autres communes européennes qui, grâce au programme environnemental Life de l’Union européenne, ont pu adopter à leur tour des mesures respectueuses des ours. On en compte aujourd’hui dix-huit.
De plus, ce programme a des retombées bien au-delà de la protection animale : Pettorano sul Gizio attire désormais les regards, les visiteurs et les investissements.
« Si nous perdons les ours, nous perdrons tout pour ce territoire », affirme Umberto Esposito, guide local et fondateur de l’agence Wildlife Adventures. À ses yeux, l’ours n’est pas un simple animal à protéger : c’est une clé de voûte du renouveau local.
En misant sur un tourisme respectueux de la nature et sur la valorisation des savoir-faire locaux, Pettorano sul Gizio renoue avec une attractivité nouvelle.
La coopérative Valleluna propose des séjours axés sur l’observation de la faune, la randonnée, la découverte des traditions locales. Le nombre de nuitées touristiques est passé de 250 en 2020 à plus de 2 400 en 2023. Une progression fulgurante pour un village de cette taille.
Les commerces locaux s’adaptent : la Pizzicheria Di Costantino propose désormais des produits ornés de l’image de l’ours – fromages, charcuteries, bières artisanales. Au restaurant Il Torchio, la propriétaire Milena Ciccolella a ajouté des plats végétariens à la carte, pour répondre aux attentes d’une clientèle plus sensible aux questions environnementales. « Le réensauvagement est une véritable bouée de sauvetage économique », confie-t-elle.
L’impact de cette dynamique dépasse le seul cadre économique.Pour beaucoup, l’ours est aussi un symbole d’harmonie retrouvée avec la nature. L’architecte Massimo Ricciotti, installé depuis des années à Pettorano, raconte comment les confinements liés à la pandémie de Covid-19 l’ont poussé à re-explorer les sentiers des montagnes environnantes. « Marcher dans la nature est devenu une forme de thérapie », dit-il. « Je connais beaucoup d’autres personnes qui en bénéficient aussi. »
La journaliste et naturaliste Valeria Barbi, elle, a fait un choix plus radical : elle a quitté la ville pour s’installer définitivement dans les Abruzzes. « Cet endroit m’a redonné un certain éclat. Ces lieux me font penser que nous pouvons agir, que les bonnes pratiques existent vraiment. »
Pettorano s’inscrit dans une tendance plus large. L’Abruzzo est l’une des régions les plus vertes d’Europe : plus de 50 % de son territoire est classé en parcs ou réserves naturelles. On y trouve une biodiversité exceptionnelle, avec loups, chats sauvages, cerfs, sangliers, aigles royaux — et bien sûr, les ours.
Dans cette optique, Rewilding Apennines mène depuis 2019 un travail minutieux de restauration écologique. Cela inclut la taille d’arbres fruitiers anciens pour fournir une alimentation naturelle aux ours, éloignant ainsi les animaux des habitations. Les fruits nourrissent également de nombreuses autres espèces : oiseaux, petits mammifères, insectes. En retour, les ours dispersent les graines et enrichissent la forêt.
« Si vous protégez l’ours brun marsicain et son habitat, vous protégez aussi toutes les autres espèces liées à cet écosystème, des animaux aux plantes », explique Angela Tavone, biologiste pour Rewilding Apennines.
Mais cette cohabitation reste fragile. Il faut constamment adapter les infrastructures et les comportements : installer des réflecteurs bleus le long des routes pour éviter les collisions nocturnes, vacciner les chiens de protection, sécuriser les enclos, et continuer à éduquer les habitants.
Angela Tavone insiste : « Il est essentiel de préparer les communautés locales à vivre avec cette espèce. » Sans acceptation sociale, aucun projet de conservation ne peut durer.
À l’heure où tant de territoires ruraux cherchent leur voie, l’expérience de Pettorano sul Gizio montre qu’un autre avenir est possible. Un avenir où protection de la nature, relance économique et mieux-être social vont de pair. Loin d’être un obstacle au développement, la faune sauvage devient ici un moteur de résilience.
« Grâce au tourisme, à la faune et à ce paysage magnifique, nous pouvons créer des bénéfices économiques pour les gens », conclut Umberto Esposito. « L’avenir des Abruzzes passe par le réensauvagement. »
Photo : ©Rewilding Apennines
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